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Le bruit et la fureur : qui sont les Hells Angels en 2016 ?

Un gigantesque Hells Angel me sourit, avant de détourner

le regard. Son visage se ferme. Sans un mot, il se retourne et commence à gueuler.Je suis au Bulldog Bash, le rassemblement annuel des Hells Angels qui se tient près de Stratford-upon-Avon dans le Warwickshire – un comté situé au centre de l'Angleterre. Des bikers déjà bien pintés se serrent dans les bras virilement tout en exposant leurs tatouages et en buvant dans des cornes. Ils enfourchent les bécanes et s'élancent le long de la piste avec du vieux rock comme fond sonore. Parmi eux – mais pourtant toujours à part – les Angels sont reconnaissables entre mille, avec leurs Harley noires et leurs blousons de cuir.

Le rassemblement a souvent eu mauvaise réputation dans la presse, notamment après l'affaire Gerry Tobin – du nom d'un Angel tué par balles lors de l'édition 2007. Le festival de musique électronique Global Gathering, qui se tient sur le même site, a une histoire objectivement plus glauque, avec ses nombreux vols, sa consommation excessive de drogues, ses agressions sexuelles et le décès d'un participant en 2012. Pour autant, les médias semblent être indifférents à son égard. La principale explication réside tout simplement dans la présence des Angels eux-mêmes. Leur nom et leur logo suffisent à évoquer de vieilles légendes urbaines, mâtinées de meurtres, de racisme et de consommation démesurée de drogues. Mais, au fond, que savons-nous des Hells Angels en 2016 ?

On peut trouver un rapide historique du groupe sur leur site officiel. Le premier chapitre – le nom que l'on donne à un groupe local des Hells Angels –a été créé en 1948 à San Bernadino en Californie. La dénomination a, semble-t-il, été suggérée aux fondateurs par un ancien pilote de l'escadrille de chasse desFlying Tigers – surnommée les Hells Angels. Depuis, de nombreux chapitres se sont réunis sous cette bannière, avec des critères d'admissions précis. On compte aujourd'hui plus de 400 chapitres, du Japon jusqu'au Pérou.

Mon accréditation de journaliste rend difficile le moindre contact avec les Angels. C'est d'ailleurs pour ça que l'immense type qui m'a souri n'a pas manqué de détaler quand il a constaté que je bossais pour VICE. « Quand nous faisons les choses bien, personne ne s'en souvient, quand nous faisons de la merde, personne n'oublie » semble être une phrase partagée par l'ensemble des Angels. Cette défiance vis-à-vis des journalistes a abouti à la prolifération d'histoires erronées et de légendes. Aujourd'hui, personne ne semble réellement savoir qui sont les Hells Angels, ce qu'ils font de leurs journées, et s'ils se plient à une « idéologie » bien précise.

Prenez mes potes, par exemple – certains ne sont même pas au courant que les Hells Angels sont présents en Grande-Bretagne. D'autres semblent très préoccupés à l'idée que je me rende seule à ce rassemblement. Un ami flic m'a même demandé de lui donner régulièrement des nouvelles. La police du Warwickshire m'a confirmé qu'ils sont toujours considérés comme des membres d'une organisation criminelle.

Un Angel, vêtu d'une veste précisant qu'il vient de New York, ne ralentit pas alors que je m'approche de sa bécane. Il me fait sèchement remarquer qu'il est là « pour [se] détendre et pas pour parler à la presse ».

Un jeune Angel belge un peu plus avenant me suggère de chercher un certain Robert, qui est sans doute le plus enclin à me parler. Robert se révèle être un Californien charismatique de 69 ans. Il vient du chapitre de Daly City. Il me montre du doigt un énorme pot de sauce chili à l'ail situé sur le comptoir du vendeur de hot-dog. « Je trouve leur bouffe un peu fade », me dit-il en chuchotant. Il insiste pour m'inviter à déjeuner. Nous finissons par nous asseoir près d'un groupe d'Angels arborant la bannière suivante : « Les Hells Angels soutiennent nos frères en prison. »

La conversation est franche et amicale, du moins jusqu'à ce que je sorte mon carnet à la fin du déjeuner. Un silence s'installe. J'explique que je suis ici pour regarder et écouter ce que les Angels ont à dire. Robert et les autres Angels finissent par hocher la tête pendant que deux types me prennent en photo sur Snapchat en y ajoutant la légende : « Une journaliste qui pose plein de questions. »

Je leur demande tout d'abord s'ils aimeraient déclarer quelque chose. « Aux lecteurs ? Oui, allez tous vous faire foutre ! », répond Robert. Tout le monde explose de rire. « Je ne veux pas d'exposition médiatique, ça n'apporte que des emmerdes, poursuit-il. Les gens ont des opinions faussées à cause de la presse, des bouquins. On ne veut pas en dire trop. Les gens n'en savent pas beaucoup et c'est très bien comme ça. Il faut garder un peu de mystère. On est une référence dans le monde des motards. On est tout ce que les autres aimeraient être. »

Et Robert, toujours loquace, de poursuivre : « Ce que nous défendons est très simple : une exigence tout au long de la vie. Vous devez traiter les gens comme vous voulez être traité. Si vous donnez du respect, vous en obtenez en retour. Si vous vous plantez, vous devez en payer le prix. Dans n'importe quel chapitre, il y a toujours une sale histoire qui vient ternir la réputation de l'ensemble du groupe. Pourtant, nous sommes tous frères. J'ai une vie géniale. »

Lui et ses « frères » se regardent en souriant, ce qui traduit une véritable affection entre eux. Je leur demande si des changements importants ont eu lieu au sein du chapitre au cours des dernières années.

« Oh oui, les drogues étaient autorisées avant ! », me répond Robert. Un éclat de rire général s'ensuit. « Aujourd'hui, tout est plus moderne – téléphones, ordinateurs portables, etc. Dans le temps, si vous étiez dans la merde et que vous ne pouviez pas vous souvenir du numéro d'un gars, vous attendiez longtemps avant que quelqu'un vienne vous tirer d'affaire. » Robert me tend son téléphone et me montre des vieilles photos des Angels datées des années 1960-1970. « Le style, les fringues et les motos ont changé mais nous restons les mêmes », m'affirme-t-il.

Les Angels s'alignent pour une photo, bras dessus bras dessous. Je leur demande s'ils peuvent se retourner afin que j'immortalise leurs blousons. « Uniquement si tu te retournes et que tu secoues ton cul devant nous », me répond-on.

Je me balade le long de la piste pour saisir un peu mieux ce qu'il s'y passe. Les roues arrière sont presque aussi divertissantes que la vision des Angels en train d'étaler de la crème solaire sur leur femme ou leur copine. Je constate que j'ai un appel manqué sur mon téléphone. J'avais une interview prévue avec Taff, le président du chapitre d'Ashfield. Taff est l'un des grands artisans du Bulldog Bash.

Taff, président du chapitre d'Ashfield

Taff me rencontre à l'arrière d'une tente où traînent tout un tas de motos bizarres et magnifiques à la fois. Il est fatigué, bourru et semble pressé. Malgré cela, il prend le temps de me répondre poliment.

« On est purement et simplement un club de motards, avance-t-il. Nous comptons de nombreux chapitres partout dans le monde – on va souvent leur rendre visite pour rouler avec eux. Il s'agit simplement d'être ensemble avec nos frères. Si nous étions des criminels, nous ne bosserions pas tous les jours et nous ne nous vanterions pas d'en être ! Les mafieux ne se pavanent pas avec un patch de 40 centimètres sur leurs vêtements. »

Je le questionne ensuite sur les membres de son chapitre. « On a un peu de tous les âges dans notre groupe, de 20 à 50 ans, me répond-il. On porte notre tenue quand c'est nécessaire – tu as vraiment l'air d'un con lorsque tu te balades au supermarché et que tu pousses ton caddie avec ton cuir sur le dos. »

Il est plus à l'aise quand il s'agit d'évoquer le succès du Bulldog Bash – dont il est en grande partie responsable. « C'est une occasion unique pour tous nos frères de se retrouver, dit-il. Ça nous permet également de croiser des tas d'autres motards. »

Il n'a pas tort. Bien que plus discret aujourd'hui – l'événement n'a réuni que 5 000 bikers contre 50 000 en 2007 – le rassemblement est moins cher, plus sûr et concentré sur une seule chose : la moto.

Nous nous serrons la main et la femme de Taff m'offre une flûte de prosecco. « Ne lui dis rien », lui ordonne Taff. Il est le second à exiger de voir mes notes avant la publication.

Je me balade vers la zone des divertissements pour adultes. J'y croise B-Bob, le New Yorkais qui a manqué de m'écraser quelques heures plus tôt. Il me salue pourtant avec enthousiasme. Il traîne avec Robert et un tas d'Angels des quatre coins du monde près d'un bar. Tous semblent ignorer largement les strip-teaseuses présentes sur scène. On m'introduit auprès de tout le monde et je commande un coup à boire. Je commence à bavarder avec un couple de Belges qui me conduisent jusqu'au bar « Angels only ». Nico, 35 ans, semble calme, jusqu'à ce qu'il se lance dans une discussion sur sa vie.

« Quand ils ont fait de moi un membre à part entière, je leur ai dit que j'allais ruiner leur réputation, rigole-t-il. Je suis marié, j'ai un fils de cinq ans et aucun tatouage. Je suis allé à l'université et je gère un restaurant. Tous les frères sont différents – certains sont des trous du cul, c'est évident. On aime simplement prendre la route en groupe. C'est ça être un Hells Angel, pour moi. Peu importe où nous allons dans le monde, nous savons qu'il y aura toujours un toit au-dessus de nos têtes, de la compagnie et de la bonne bouffe. »

Des verres apparaissent dans ma main comme par magie. Je me sens étrangement en sécurité – sans doute parce que j'ai l'habitude d'être emmerdée dans les bars chaque samedi soir alors qu'ici tous les mecs me traitent avec respect. On m'invite à faire un crochet par les États-Unis, la Belgique, ou encore les Pays-Bas. On me suggère des idées de tatouages. Les Angels sont incroyablement accueillants – encore plus quand je range mon appareil photo dans mon sac.

Certains Hells Angels aimeraient ne plus être considérés comme des criminels mais la plupart militent pour préserver le mystère qui les entoure, comme le font les francs-maçons par exemple. La position officielle de la police est de dire que « des preuves suggèrent qu'ils sont impliqués dans des activités criminelles ». Durant le rassemblement, aucun incident n'a été signalé. De mon côté, je n'ai rien constaté, hormis quelques bikers totalement bourrés.

Il ne faut pas oublier que ce rassemblement permet de lever des fonds pour des associations. De leur côté, les habitants de Stratford-upon-Avon accueillent les motards à bras ouverts. Si, en tant que journaliste, l'accueil a été difficile, les Hells Angels ne m'auront jamais manqué de respect en tant que personne.

source : Vice.fr

Le savoir ne vaut que si il est partagé !!!

Pépito

L'AUTEUR Pépito...
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