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Quand on vit dans un pays en guerre, il est impossible de voyager

Voyager est devenu un rite de passage

incontournable pour tous les jeunes issus de la classe moyenne, tendance supérieure. Il s'agit souvent de l'un des points culminants d'une vie avant de passer le cap de la trentaine – le moment où l'on réalise que l'on aura beau accumuler les voyages et les conquêtes, notre vie n'en sera pas plus satisfaisante. À grands coups de hashtags écervelés, le voyage est devenu un véritable champ de bataille dans les médias et les réseaux sociaux.

Sauf que là encore, on évoque un état de fait qui n'a rien d'universel. Prenez les jeunes Irakiens, par exemple. Conflits à répétition, corruption endémique et État impuissant : les difficultés irakiennes sont bien connues, auxquelles s'ajoute un accès très limité à Internet. Selon Wired, 11 % de la population y a accès dans le pays, un chiffre très faible – même s'il est en forte augmentation depuis 2009. Les quelques Irakiens qui passent leurs journées sur Internet – les plus urbains, évidemment – n'en demeurent pas moins frustrés par ce qu'ils y voient, à savoir de jeunes occidentaux plutôt blancs qui se prélassent. En effet, face à la difficulté d'obtenir un visa quand on vient d'un pays jugé « à risque », beaucoup préfèrent abandonner.

« Je voulais simplement voir ce que le monde avait à m'offrir et expérimenter au moins une fois dans ma vie la liberté de voyager », m'a précisé avec amertume Zahraa Ghandour, une journaliste basée à Bagdad. « Mais quand je repense à tout cet argent, tout ce temps et tous ces efforts pour tenter d'obtenir un visa, je ne suis pas sûre que j'aurai un jour la chance de voyager librement. »

Pour n'importe quelle personne âgée d'une vingtaine d'années, l'appel du voyage est compréhensible, tant ce dernier est lié à la liberté, la découverte de nouvelles cultures – bon, OK, ça c'est totalement faux – et faire la fête avec des gens qui vous ressemblent – ça, c'est nettement plus proche de la réalité. Maintenant, il ne vous reste plus qu'à imaginer ce qu'un tel concept – « le voyage » – peut signifier aux yeux de jeunes qui n'ont connu que la guerre depuis qu'ils sont nés.

Lorsque vous venez d'un pays instable, votre choix de destination ne s'en trouve que plus réduit. Selon l'Indice mondial des restrictions de visas, le passeport irakien est l'un des trois passeports les plus restrictifs au monde – juste devant le Pakistan et l'Afghanistan – et n'offre la possibilité d'accéder qu'à une trentaine de pays. Dans cette logique, John Torpey, professeur de sociologie à l'université de New York, affirme que « le visa est l'une des premières lignes de défense contre l'entrée de ceux jugés indésirables ». L'obtention d'un visa est donc conditionnée au regard porté sur votre pays par les différents États – regard influencé par la peur, très souvent.

Zahraa est tiraillée entre deux sentiments « J'adore mon pays, dit-elle. Je n'ai jamais pensé à déménager mais j'ai besoin de découvrir le monde. » Beaucoup de ses amis ont déjà fui en tant que réfugiés – c'est peut-être le moyen le plus adapté pour quitter l'Irak quand on est jeunes. « Je ne suis pas heureuse ici, poursuit-elle. J'ai aidé les autres du mieux que je pouvais, maintenant je dois faire une pause, me retrouver seule avec moi-même et apprécier la vie. »

ahraa m'a affirmé avoir déjà dépensé des milliers de dollars pour des avions qu'elle n'a jamais pu prendre et des hôtels dont elle n'a jamais profité à cause de multiples refus lors de ses demandes de visa. « Je ne désire pas réclamer l'asile dans un pays étranger, alors je dois me contenter de suivre des voyageurs sur Instagram pour découvrir le monde », précise-t-elle.

C'est avec une certaine rancœur que le réalisateur irakien Mohanad Hayal évoque la fois où on lui a refusé un visa pour l'Australie. Alors qu'il avait été invité pour prendre part à une conférence en compagnie d'autres réalisateurs étrangers de renom, on lui a refusé l'entrée sur le territoire à cause de sa nationalité. « Les 2 000 soldats australiens venus envahir mon pays en 2003 avaient-ils eu besoin d'un visa ? », demande-t-il ironiquement. Alors qu'il doit déjà faire face à de nombreux défis – comme les coupures électriques récurrentes – Mohanad assure que sa présence dans les compétitions internationales a été remise en question par les restrictions de voyage dont il est victime. « J'ai l'impression d'être traité comme un terroriste et non comme un réalisateur, dit-il. Je n'en peux plus. Comment pourrais-je être créatif et partager mes travaux avec les autres si on ne me laisse pas voyager ? Je me sens tellement pris au piège. »

Au-delà de ces nombreuses restrictions, les Irakiens doivent faire face à la difficulté de voyager à l'intérieur de leur propre pays. De l'État islamique aux clivages politiques et religieux, il est impossible d'accéder à l'intégralité du territoire national.

Dilshad Yousif est un photographe irakien. Il est né à Bagdad, est d'origine kurde mais parle seulement l'arabe. C'est pour cela qu'il n'a pas pu se rendre à Erbil, la capitale du Kurdistan irakien. « Ils m'ont gardé pendant trois heures à l'aéroport d'Erbil, seulement pour me renvoyer à Bagdad, me précise-t-il. Pourquoi ? Simplement parce qu'ils me considéraient comme une menace car je ne parlais pas kurde. »

Affirmer qu'il est difficile de voyager lorsque vous êtes Irakien serait un euphémisme. Les plus jeunes générations, désireuses de connaitre autre chose que la guerre, ne peuvent quitter le pays, ne serait-ce que pour quelques jours. Dans un pays où le sectarisme est légion, on peut à peine imaginer les bienfaits d'un accès à d'autres ressources pour les jeunes – même si, en l'état actuel des choses, seuls les plus riches pourraient voyager. Aujourd'hui, pour un grand nombre d'étudiants et de jeunes travailleurs, voyager est très facile : il suffit d'acheter un billet en ligne. Pour la plupart des Irakiens, un tel achat est impossible, inenvisageable, ou tout simplement inutile.

Par Ahmed est sur Twitter.

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Pépito

L'AUTEUR Pépito...
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